L’augmentation obligatoire de l’âge de départ à la retraite d’un an pour ceux qui atteindront l’âge de 60 ans en 2019, et de deux ans pour ceux qui atteindront cet âge en 2020 est l’une des principales mesures de la prochaine réforme du système de sécurité sociale dans le secteur public.
Les dés sont jetés en ce qui concerne la réforme du système de sécurité sociale dans le secteur public et l’annonce officielle n’est que question de temps. Officieusement, cette réforme tournera autour de quatre axes, la prolongation de l’âge de la retraite, l’augmentation de la cotisation, la révision automatique de la pension, la diversification des sources de financement à travers la mise en place de la cotisation sociale solidaire (CSS). D’autres mesures suivront telle la création d’un conseil supérieur pour le financement de la protection sociale et d’un fonds d’assistance pour les employés licenciés.
Un travail laborieux et méticuleux a été effectué dans ce contexte par la sous-commission de la protection sociale instituée dans le cadre du Contrat social et a permis un diagnostic approfondi de la situation des régimes de sécurité sociale en concertation avec toutes les parties prenantes quant aux solutions envisageables pour réformer le secteur de la sécurité sociale, diversifier les sources de financement et rétablir l’équilibre financier des caisses sociales.
Toutefois, le temps presse et aucun retard n’est permis, a tenu à souligner Kamel Madouri, directeur général de la sécurité sociale au ministère des Affaires sociales lors d’une journée de formation tenue le jeudi dernier au siège dudit ministère sur les différents scénarios de la réforme de la sécurité sociale. Présent lors de l’ouverture des travaux, le ministre des Affaires sociales Mohamed Trabelsi a mis en exergue le rôle important du système de la sécurité sociale dans la concrétisation de l’équité et la stabilité sociale.
La réalité et les défis du secteur de la sécurité sociale Le secteur de la sécurité sociale est l’un des principaux piliers de la politique sociale en raison de son rôle régulateur dans l’absorption des crises eu égard aux défis actuels sur les plans économiques et sociaux. Kamel Madouri a rappelé la place importante qu’occupe ce secteur, étant donné qu’il constitue l’un des vecteurs essentiels du développement économique et social et l’un des principaux éléments pour la préservation de la paix sociale à travers la consécration des valeurs de solidarité, l’amélioration du niveau de vie des personnes et des ménages et la consolidation des fondements de la stabilité et de la cohésion sociale.
Evoquant la politique sociale en matière de sécurité sociale, il a expliqué qu’elle est axée sur l’extension de la couverture sociale à l’ensemble des catégories socioprofessionnelles, l’amélioration des prestations et le rapprochement entre les régimes de sécurité sociale, et surtout la préservation des systèmes de sécurité sociale. Il a aussi cité l’appui à l’économie nationale sur les plans de l’investissement et l’employabilité et la nécessité de s’appliquer aux principes de la bonne gouvernance dans ce secteur pour éviter les dérapages enregistrés d’un moment à l’autre.
K.Madouri a passé en revue les différents organismes de sécurité sociale en Tunisie, à l’instar de la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale(Cnrps) qui est chargée d’assurer la couverture sociale aux fonctionnaires et aux agents du secteur public en général, la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss) qui veille à assurer la couverture sociale pour les travailleurs dans le secteur privé, la Caisse nationale d’assurance maladie(Cnam) qui gère les différents régimes de couverture sanitaire des assurés sociaux des secteurs public et privé, l’octroi des indemnités de maladie et de couches ainsi que les régimes de réparation des préjudices résultant des accidents du travail et des maladies professionnelles. Outre ces caisses, il a évoqué le Centre de recherche et d’étude en matière de sécurité sociale qui a pour mission l’élaboration des recherches et des études afférentes aux régimes de sécurité sociale.
L’introduction de certaines mesures visant à rapprocher les différents régimes de retraite n’est pas à exclure au niveau de la réforme de la sécurité sociale, a-t-il ajouté.
Evasion sociale des associations sportives Le secteur des artistes et des sportifs est aussi à revoir de fond en comble, a fait remarquer le directeur général de la sécurité sociale, évoquant à ce sujet ce qu’il a qualifié d’évasion sociale de la part de certains artistes et associations sportives. Ces associations perçoivent des primes de la société Promosport alors qu’elles ont des dettes envers les caisses de sécurité sociale. Pour expliquer l’impact négatif de cette évasion sociale, il a déclaré que la dette de quatre grandes équipes est estimée à 5 millions de dinars. La situation actuelle du pays impose un certain degré de responsabilité qu’il faut assumer de la part des instances sportives, a souligné Madouri.
Pour les travailleurs tunisiens à l’étranger, il a regretté le faible taux des adhérents dans le système de sécurité sociale et qui ne dépasse pas les 2%. Toutefois, cela est dû aussi à un déficit au niveau de la communication. En effet, 54% des Tunisiens à l’étranger ignorent ce système. Cependant, l’effort de consolidation des droits sociaux s’est traduit par la conclusion de 21 conventions bilatérales de sécurité sociale avec les pays portant ainsi le taux de la couverture sociale à plus de 91% , un taux qui est plus élevé que celui enregistré à l’intérieur du pays, déclare-t-il. Ces conventions consacrent les principes d’égalité de traitement avec les nationaux du pays d’emploi et de libre transfert des prestations dans le pays d’origine. D’autres conventions sont en cours de réalisation, tient-il à rassurer.
Nouvelle caisse pour les employés licenciés Dans le cadre du pacte social, et en accord avec l’Ugtt, il a été décidé d’œuvrer pour la création d’une caisse (ou un fonds ) en faveur de ceux qui perdent leur emploi suite à la fermeture subite de leur entreprise en raison de difficultés économiques ou autres, et ce, dans le but d’alléger le fardeau de la caisse sociale, a annoncé K.Madouri. Et d’ajouter que son financement sera assuré par l’Etat, l’Ugtt et l’Utica. Une sous-commission tripartite va plancher sur les côtés techniques de cette caisse qui assistera financièrement, et pour une période bien déterminée, l’employé en cas de licenciement. A ne pas confondre donc avec une caisse de chômage. Le financement des caisses uniquement par les adhérents n’est plus possible comme l’a relevé le projet de loi de finances 2018, d’où la nécessité de diversifier les financements et la prise d’une nouvelle mesure de cotisation sociale solidaire (CSS) comme source de financement de la sécurité sociale. Il est aberrant que ces caisses ne soient aujourd’hui financées que par les employés, a-t-il affirmé. Il y a plusieurs autres sources de financement (revenus des fonds immobiliers, des entreprises polluantes, des contrats d’assurance…). Partout, dans le monde, les entreprises pharmaceutiques et les laboratoires sont soumis à des taxes et impôts qui vont à la l’assurance maladie.
Un conseil supérieur pour le financement de la protection sociale sera aussi créé dans le cadre de la réforme du système de la sécurité sociale qui sera tenu d’assurer les équilibres financiers et la quête de nouvelles sources de financement. On espère que ce conseil verra le jour dès le début de l’année 2018, a déclaré K. Madouri.
Les nouvelles mesures de la réforme Intervenant dans le cadre de cette journée de formation, Mounir Chérif, directeur général du centre des études et recherches sociales, a annoncé que la hausse de la masse salariale, le vieillissement de la population, l’allongement de l’espérance de vie, l’augmentation du taux de chômage et du nombre des retraités figurent parmi les facteurs exogènes qui ont contribué à la descente aux enfers des caisses sociales. Les critères du calcul de la pension, l’âge de la retraite, la cotisation, figurent parmi les facteurs endogènes qui ont favorisé cette crise, note-t-il. Il ajoute que 51% des employés affilés à la Cnrps ont pris une retraite anticipée.
L’augmentation obligatoire de l’âge de départ à la retraite d’un an pour ceux qui atteindront l’âge de 60 ans en 2019, et de deux ans pour ceux qui atteindront cet âge en 2020 est l’une des principales mesures de la prochaine réforme du système de la sécurité sociale dans le secteur public, confirme Mounir Chérif. L’employé pourrait, mais d’une manière facultative, continuer à travailler jusqu’à l’âge de 65 ans après dépôt d’une demande. Un glissement de deux ans est prévu aussi pour ceux qui partent à la retraite à 55 ans. A ceci s’ajouteraient d’autres nouvelles mesures comme l’augmentation de 3% du taux de cotisation qui sera supportée par l’employeur (2%) et par le salarié(1%), la révision automatique de la pension et la diversification des sources de financement à travers la mise en place de la cotisation sociale solidaire (prélèvement de 1% du salaire de l’employé).
Une réforme consensuelle Ces mesures doivent être prises de toute urgence , a commenté Kamel Madouri. Cependant, le travail de la sous-commission va continuer pour assurer au système de sécurité sociale une réforme globale dans le cadre d’une démarche participative.
Pour ce qui est du secteur privé, la réforme pourrait inclure l’augmentation de l’âge de départ à la retraite et de la cotisation, et ce, en étroite concertation avec l’Utica, tout en tenant compte du pouvoir d’achat et des charges sociales des adhérents.
En conclusion, Kamel Madouri a insisté sur la complexité du dossier de la réforme mais aussi sur son urgence. C’est une réforme consensuelle qui n’implique pas que le gouvernement mais aussi ses partenaires syndicaux. Il a tenu à rappeler les grands axes qui figurent dans le Contrat social signé le 4 janvier 2013 prévoyant un ensemble d’engagement au niveau de la protection sociale dont l’adoption d’une révision globale et non conjoncturelle de l’ensemble du système de sécurité sociale, l’instauration d’un système de bonne gouvernance dans la gestion des caisses sociales, l’assurance par l’Etat du droit aux soins aux catégories fragiles.
Il a évoqué le devoir d’instaurer une stratégie efficace à même de faire face aux dettes des caisses sociales, rappelant à ce sujet que l’Etat est intervenu pour la première fois dans l’histoire du pays en injectant aux caisses 300 millions de dinars en 2016 et 500 millions de dinars en 2017. Il a toutefois regretté l’absence, à l’échelle nationale, d’une structure préventive de pilotage.
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